Stoppons la menace des ultra-réactionnaires – protéger l’école

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Censure de « La Belle et la Bête » illustré par Jul, pression mises aux enseignants par des groupes proches de Zemmour, attaques de l’extrême droite…

L’offensive ultra-réactionnaire encercle l’École !

Défendons une école libre, émancipatrice, à l’abri des dérives conservatrices.

Je demande la création d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale pour examiner la menace réactionnaire dans le milieu scolaire en France, évaluer ses réseaux, ses relais et ses effets concrets sur le terrain.


Depuis plusieurs années l’école en France, notre école, sanctuaire républicain, est la cible d’une offensive idéologique et politique qui ne peut plus être ignorée. Cette offensive réactionnaire prend deux formes complémentaires : l’entrisme progressif au sein des instances de pilotage de l’éducation ou dans des secteurs stratégiques et la pression directe exercée par des groupes ultra-conservateurs.

Ce phénomène n’est ni isolé, ni spécifiquement français. Il s’inscrit dans une nouvelle poussée internationale amorcée dans les années 2000, et qui prend un tournant majeur sous la présidence de Donald Trump aux États-Unis. C’est ce que de nombreux observateurs appellent aujourd’hui trumpisation de la vie publique : une stratégie politique fondée sur la diffusion de fausses informations, la remise en cause des méthodes et des savoirs scientifiques, l’instrumentalisation de l’école comme champ de bataille idéologique, la restriction de la liberté de création et le rejet des principes démocratiques fondamentaux tels que la pluralité des savoirs et la neutralité institutionnelle.

Aux Etats-Unis l’école est devenue une cible politique directe et assumée pour les partis conservateurs et réactionnaires. En France, les mêmes mécanismes sont désormais identifiables et convergents : même stratégie, mêmes cibles et mêmes arguments.  Ces attaques contre la liberté d’enseigner et contre la science sont la matérialisation des prémices d’un basculement brutal vers une lecture réactionnaire du rôle de l’État, de l’école, des savoirs et des valeurs collectives. 

Un événement récent illustre les dérives du retour d’un conservatisme idéologique au sein des institutions éducatives françaises : l’annulation, par le ministère de l’Éducation nationale, de la commande de 800 000 exemplaires d’une version illustrée par Jul du conte original de La Belle et la Bête (Jeanne Marie Leprince de Beaumont, 1756). Cette œuvre devait être distribuée à l’ensemble des élèves de CM2 dans le cadre de l’opération « un livre pour les vacances ». 

Cette décision a été prise à la dernière minute alors que l’impression des exemplaires était imminente. L’ouvrage avait reçu une validation initiale, de la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire (DGESCO) et de représentants du cabinet des ministres de l’Éducation nationale successifs. Elisabeth Borne avait d’ailleurs préfacé l’ouvrage avant ce revirement soudain. Une telle décision n’a été justifiée par aucun élément nouveau ou fait grave.

L’unique justification donnée concernait le caractère prétendument inadapté du contenu aux élèves. Elisabeth Borne explique cette décision lors d’une interview sur CNnews de la manière suivante : « Jul a beaucoup de talent, il manie l’ironie, le second degré. Mais sans accompagnement pédagogique, je pense que ça n’est pas adapté. » 

Cette argumentation est identique à celle qui se déploie aux Etats-Unis pour justifier les book bans. Depuis plusieurs années, sous pression de groupuscules intégristes, plus de 10 000 titres de livres ont été retirés des bibliothèques scolaires américaines. Parmi eux : La servante écarlate de Margaret Atwood, Le journal d’Anne Frank, L’Œil le plus bleu de Toni Morrison, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur , d’Harper Lee, ou encore Le Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley.

Pourtant, le choix d’une œuvre illustrée par le dessinateur Jul avait été réalisée par la Ministre de l’Éducation pour permettre d’initier les élèves aux dessins humoristiques, à l’ironie et au second degré. Ce choix était particulièrement pertinent puisque ce livre devait être offert aux élèves alors que nous commémorons la mémoire des dessinateurs de Charlie Hebdo, victimes il y a dix ans d’une attaque terroriste. Ce choix permettait de rendre hommage à la liberté d’expression et la liberté de création, piliers de la démocratie française. 

L’affaire a provoqué un malaise dans le monde éducatif et culturel, plusieurs acteurs y voyant le symptôme d’un climat de censure institutionnelle et potentiellement le premier signe d’un noyautage par les ultra-conservateurs de hauts postes au sein de l’Éducation nationale. 

Ce type de revirement, soudain et injustifié, ne peut en effet qu’interroger. D’autant plus quand le revirement semble initié par Caroline Pascal, actuelle Directrice générale de l’enseignement scolaire, qui est mise en cause par plusieurs personnes pour avoir minimisé les dérives au sein de l’établissement d’enseignement privé Stanislas. Il est probable donc que pour la deuxième fois, elle ait interféré dans un travail en cours et cela à des fins politiques.  

Nous assistons à un glissement progressif : celui d’une institution, l’Éducation nationale, qui, confrontée à des tensions politiques et médiatiques croissantes, semble parfois céder à une logique de repli, au détriment de la diversité culturelle et de la créativité pédagogique ; quand elle n’est pas victime d’attaques de groupes organisés souhaitant imposer aux enseignants et aux élèves une vision figée et conservatrice de la transmission des savoirs éducatifs, voire passant sous silence des pans entiers de l’histoire (notamment coloniale) et des enjeux animant les dynamiques contemporaines à l’œuvre (climat, biodiversité, inégalités liées au genre, à la classe sociale ou à la race supposée…). 

Ce mouvement de contestation réactionnaire se structure autour de groupes comme les « Parents vigilants », créé par le parti Reconquête d’Eric Zemmour, qui organisent une pression ciblée sur les enseignants. Ce réseau, qui appelle à dénoncer les enseignants jugés trop progressistes et instaure un climat de terreur dans certains établissements. Ses méthodes se composent de cyberharcèlement, d’intimidations et de pressions locales. Plusieurs témoignages documentent des campagnes ciblées contre des enseignants.

Par exemple, en décembre 2022, une professeure de philosophie, au lycée Watteau à Valenciennes, souhaite organiser avec les élèves de classe préparatoire une visite d’étude à l’Auberge des migrants à Calais. Le Rassemblement national et Reconquête dénoncent cette visite dans un communiqué de presse et l’association Parents vigilants s’empare de l’affaire. Suite à cela, la professeure reçoit une avalanche de menaces de viol et de mort. Une personne a même menacé de la dépecer. Sa famille vivra six semaines sous protection policière et la visite est annulée. L’association Parents vigilants, considère cela comme l’une de ses 10 principales victoires. 

Le rapport 2023 de la médiatrice de l’Éducation nationale souligne une forte augmentation du nombre de saisines : + 42 % sur les cinq dernières années. 39 % des saisines de 2023 concernent la vie quotidienne et les conflits en établissements. Depuis deux ans, c’est le premier motif de saisine. Cela traduit ledu développement de contestations portant notamment sur la nature et le fondement des enseignements. Le rapport contient plusieurs exemples de cette remise en cause : 

« Je me permets de vous écrire concernant plusieurs situations qui sont récurrentes. Pendant les réunions ou sur la messagerie, des parents demandent aux professeurs de connaître à l’avance le contenu des cours (CESCE10 ou pour tout débat). Certains refusent que leurs enfants participent à des activités. C’est la première année où des parents se permettent cette attitude. […] »

« Le programme pervers d’éducation sexuelle que vous voulez mettre en place dès le plus jeune âge. Faites cela entre vous ! Pensez ce que vous voulez je m’en fiche mais imposez cela à votre famille. N’importe quoi ! Chaque année c’est de pire en pire. L’éducation des enfants n’avance pas mais recule. Au lieu d’apprendre des élites, des pédophilies imposent leurs fantasmes aux jeunes. »

Les pressions contre les enseignants et les établissements sont particulièrement fortes autour de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars). Les enseignants sont accusés de soumettre les élèves au « visionnage d’images pornographiques », « d’apprendre aux élèves à se masturber » ou encore les inciter à changer de sexe. Contre-vérités, rumeurs et mensonges diffusés sur CNews, Europe 1 ou encore le JDD, médias appartenant au milliardaire ultraconservateur Vincent Bolloré, ainsi que par les Parents Vigilants ou les Mamans Louves.  

Simultanément, des offensives moins visibles, mais tout aussi dangereuses s’opèrent dans le secteur de l’accompagnement à la parentalité ou de l’édition scolaire. Le Fonds de Pierre-Edouard Stérin, 104e fortune française, catholique intégriste et proche du Rassemblement national, fait de l’éducation intégrale et de la famille deux de ses quatre missions prioritaires. Dans une période où de nombreux parents recherchent du soutien, Pierre-Edouard Stérin finance ainsi des structures ayant pour objectif officiel de les accompagner et comme objectif officieux de propager ses valeurs intégristes : la non-mixité, la vision traditionnelle de la famille, l’autorité. 

L’édition scolaire fait également partie des secteurs de conquête de l’extrême droite. Des acteurs influents de l’édition scolaire s’accaparent les manuels pédagogiques et pourraient les soumettre à une ligne idéologique conservatrice. Ainsi le groupe de Vincent Bolloré a pris le contrôle de Hachette Éducation, qui représente aujourd’hui près de 40 % du marché scolaire et parascolaire. Ce contrôle par une personne assumant publiquement être dans “une croisade civilisationnelle” est particulièrement préoccupant. 

Nous ne pouvons assister sans rien dire à la tentative de confiscation par un groupe ultra-réactionnaire d’un bastion de l’égalité :  l’école publique, laïque et gratuite. L’école de la République, permet à chaque enfant de forger son esprit critique et de fortifier sa liberté de conscience. Elle donne la capacité de dépasser son point de vue individuel pour créer un « nous », un collectif, un imaginaire commun. Si nous laissons se propager un agenda ultra-réactionnaire à l’intérieur-même de l’école, nous mettrions en danger ce qui cimente notre Nation.

C’est pourquoi il est de la responsabilité de l’Assemblée nationale d’examiner avec rigueur la réalité de la menace réactionnaire dans le milieu scolaire en France, d’évaluer ses réseaux, ses relais, et ses effets concrets sur le terrain. C’est pourquoi nous demandons la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la menace ultra-réactionnaire qui pèse sur l’École de la République.